C’est au tout début des années 1940 que Sang Hu est apparu dans le monde du cinéma et en une quarantaine d’années (2), il a signé quelque quarante films, soit comme scénariste, soit comme réalisateur... /...
Les succès remportés par Sang Hu sur le plan artistique sont le résultat d’une admirable ardeur au travail. Il s’est passionné pour le cinéma dès son plus jeune âge. Pendant ses années d’école et de collège, jusqu’à l’époque où il est entré comme stagiaire à la Banque de Chine, il a regardé plusieurs films pratiquement chaque dimanche. En une dizaine d’années, il a ainsi pu voir plus de mille films. Après les avoir vus, il en rédigeait des notes, habitude qu’il a conservée jusqu’à l’heure actuelle. Il dit fréquemment : « En fait, j’ai appris le cinéma en regardant des films. J’avais l’habitude d’en voir beaucoup, j’y réfléchissais beaucoup, et je notais consciencieusement les idées qu’ils m’inspiraient. C’est un peu comme mettre l’argent économisé chaque jour dans un coffre-fort, ce sont chaque fois des petites sommes, mais cela finit par faire un magot. Au bout du compte, en une année, on apprend énormément de choses. ».
Sang Hu a des intérêts artistiques très étendus ; tout petit, il aimait déjà la littérature et le théâtre chanté, et il a commencé dès avant la guerre sino-japonaise à écrire des essais et des critiques d’opéra. Il était un passionné d’opéra de Pékin ; dans sa jeunesse, il avait été très intime avec l’acteur ZHOU Xinfang (周信芳) auprès duquel il puisa beaucoup d’inspiration. C’est dans les coulisses d’un spectacle où se produisait ZHOU Xinfang que Sang Hu rencontra par hasard le célèbre réalisateur ZHU Shilin (朱石麟). Dès leur première conversation, les deux hommes s’entendirent à merveille. Par la suite, encouragé par ZHU Shilin, Sang Hu s’engagea sur la voie de la création cinématographique.
C’est en 1941 qu’a été porté à l’écran son premier scénario, intitulé « Chair » /《肉》, ou « L’Esprit et la chair » /《灵与肉》. A une époque où, dans le Shanghai de « l’île orpheline » (孤岛) (3), les films étaient de vraies gravures de mode, sortir un film progressiste de ce genre n’était certainement pas une chose courante. Ensuite, Sang Hu a encore écrit les scénarios de « La nuit de noces » /《洞房花烛夜》, « Rendez-vous tard dans l’après-midi » /《人约黄昏后》) (4), etc…
Le premier film dont il écrivit le scénario et qu’il réalisa lui-même est « Vive le professeur ! » /《教师万岁》 (1944), avec, dans les rôles principaux, HAN Fei (韩非) et [l’actrice] WANG Danfeng (王丹凤).
Après la victoire de 1945] Sang Hu a écrit et/ou réalisé les films suivants : « La Dot en carton » /《假凤虚凰》, « Un amour inachevé » /《不了情》, « Vive ma femme ! » /《太太万岁》, « Tristesse et joie de l’âge mûr » /《哀乐中年》, etc… « La Dot en carton », réalisé par HUANG Zuolin (黄佐临), avec dans les rôles principaux LI Lihua (李丽华) et SHI Hui (石挥), est une superbe comédie satirique ; elle se moque habilement de l’atmosphère de duperie généralisée dans la société de l’époque, dénonce la corruption et la vie dissolue de la classe bourgeoise, à la recherche de son profit personnel au détriment de celui du reste de la population, mais loue en revanche la droiture et la bonté de ceux qui travaillent de leurs mains, ainsi que leurs qualités de fraternité et d’entraide. La construction de l’intrigue est ingénieuse, les personnages très vivants, les dialogues pleins d’humour. Ce film a contribué à élever significativement le niveau des comédies chinoises au cinéma.
Sang Hu a toujours aimé la littérature classique et le théâtre traditionnel chanté. Dans son œuvre cinématographique, il a activement exploré le « style national chinois ». Pour le film « Liang Shanbo et Zhu Yingtai » /《梁山伯与祝英台》[1953] il a participé à l’élaboration du scénario [adapté de cet opéra yue ou opéra de Shaoxing] ; puis [en 1955 et 1956] il a également adapté pour le cinéma l’opéra huangmei « Le mariage d’une immortelle » /《天仙配, ainsi que l’opéra de Pékin « Song Shijie » /《宋士杰》(5), cherchant à unir l’art du cinéma et celui de l’opéra, en rendant celui-ci plus cinématique, et en adoptant un style qui corresponde à chaque genre régional.
Dans « Les Offrandes du nouvel an », 《祝福》(1956), lors de la séquence dite « des dix huit offrandes », l’atmosphère est particulièrement bien rendue par la musique vigoureuse et les gestes mimés des acteurs, tandis que leur marche en un mouvement circulaire vers l’avant décrit le processus dans sa durée.
Si, quand on tourne un film, on enregistre simplement le jeu des acteurs sur une scène, avec un fond de décor artificiel, cela ne sera pas satisfaisant pour les spectateurs. D’un autre côté, tourner en décor naturel, dans un paysage réel, n’est pas non plus idéal : cela ne permet pas de rendre les spécificités du théâtre traditionnel. Sang Hu a en recours à une méthode qui combine le réel et l’artificiel, en utilisant comme toile de fond des décors dans le style des peintures de paysage traditionnelles, ce qui leur confère l’atmosphère poétique de la peinture ancienne, tout en étant très décoratifs ; il a ainsi réussi une symbiose harmonieuse du cadre et du jeu théâtral dont le résultat est très artistique.
Les films mis en scène par Sang Hu sont construits de façon rigoureuse, et les personnages dépeints avec minutie ; ils sont en outre très émouvants. Ceci est particulièrement remarquable dans « Les Offrandes du nouvel an ». Par exemple, la manière dont il dépeint l’évolution des relations entre la veuve Xianglin (祥林嫂) et [son second mari] He Laoliu (贺老六) [He le sixième] rencontre beaucoup de succès auprès du public.
Le jour de son mariage forcé, la veuve inquiète son nouveau mari par son attitude de révolte, bousculant la table où brûlent les bâtons d’encens et se répandant en pleurs. Le lendemain au petit matin, après lui avoir apporté de l’eau bouillie et des patates douces, il reste à la regarder. La manière dont Sang Hu filme cette scène fait ressortir l’attitude fondamentalement bonne et simple du paysan chinois qu’est He Laoliu, tout en dévoilant progressivement ce que ressent le personnage féminin. Au début, elle a peur de He Laoliu, puis elle s’enhardit à l’implorer de la laisser repartir. Quand il lui dit alors : « Si tu tiens absolument à repartir, lève toi, passe toi de l’eau sur le visage et mange quelque chose, ensuite je te raccompagnerai », le metteur en scène filme très précisément les réactions intimes du mari, traduisant ses doutes et sa façon de l’observer tandis qu’il cherche à sonder le terrain. Finalement, on voit très légèrement frémir le coin des lèvres de la veuve qui esquisse un frêle sourire en fixant He Laoliu puis, sans dire un mot, tend lentement la main pour saisir le bol d’eau. Cette scène est filmée de façon claire, précise, sans effets superflus, et reflète parfaitement l’art du réalisateur. Dans ce film, Sang Hu s’est emparé d’une histoire classique, tant dans le cadre que dans les détails, mais l’a traitée avec beaucoup de tension, à travers les trois scènes d’offrandes du nouvel an qui encadrent le film au début et à la fin et la chaussure de Ah Mao [tout ce qui reste de l’enfant mangé par le loup] qui réapparaît sept fois, il dresse, sous les traits de la veuve Xianglin, un portrait des plus minutieux et représentatifs d’une femme opprimée par les codes éthiques de la société féodale (6).
Mais Sang Hu a aussi beaucoup aimé réaliser des comédies, et tout particulièrement des comédies légères. « Eux deux et elles deux » / « Jumeaux et jumelles » /《她俩和他俩》[1979], en particulier, est d’un style résolument nouveau et radieux, avec son rythme joyeux et naturel. Cette œuvre donne une forte impression de vie : elle contient un certain enseignement au sein même du divertissement et témoigne de manière implicite mais significative du style de Sang Hu en tant que réalisateur.
Sang Hu avait décidé dès le tout début des années 1960 de porter à l’écran l’œuvre célèbre de Mao Dun « Minuit » (《子夜》). Maintenant (7), il est sur le point de voir son souhait exaucé. Il est en train de rédiger le scénario, et nous attendons un jour prochain de voir sortir au cinéma cette illustration des luttes très complexes, intervenues au début des années 1930 en Chine, entre d’un côté la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale et de l’autre la bourgeoisie des compradores.
Traduction française : Brigitte Duzan, Marie-Claire Kuo
Notes des traductrices :
(1) 业精于勒 yè jīngyú qín : il s’agit d’un proverbe (chengyu) qui signifie " C’est par la diligence au travail, que l’on arrive à des connaissances profondes".
(2) l’article a été écrit en 1980.
(3) « L’île orpheline » correspond à la période qui va de la déclaration de guerre avec le Japon (7 juillet 1937) à l’entrée des Américains dans la guerre du Pacifique (décembre 1941). Durant ces quatre années, on a donné ce nom aux concessions étrangères de Shanghai ( concession française et concession internationale) qui formaient alors un îlot de paix cerné par la guerre.
(4) Le premier film est de ZHU Shilin (朱石麟), le second de YANG Gongliang (杨工良).
(5) Sang Hu a lui-même réalisé « Liang Shanbo et Zhu Yingtai » ; en revanche, « Le mariage d’une immortelle » /《天仙配》 a été réalisé par SHI Hui (石挥) et « Song Shijie » /《宋士杰》par YING Yunwei et LIU Qiong (应云卫 et 刘琼)).
(6) On peut visionner 《祝福》 sur internet : http://www.tudou.com/programs/view/KZJ9ZZcR4QY/
(7) En raison de la Révolution culturelle, le film n’a pu être tourné qu’en 1981, c’est-à-dire peu après la rédaction de cet article.